En effet, comment conjuguer lutte contre l’érosion de la biodiversité et bonne volonté de l’intervention humaine ? L’intervention des humains pour réparer ou améliorer — que ce soit un corps humain ou social, une culture, un élevage ou un environnement — se fait avec nos connaissances toujours limitées, bien que croissantes, et dans une ignorance toujours renouvelée. Toutefois, si agir grâce à nos connaissances en tenant compte de nos ignorances est une démarche à agréer, généralement nous agissons sans vraiment vérifier nos connaissances actuelles ou en préférant les ignorer.
Ainsi, sous couvert de sauver le monde de la disparition des insectes pollinisateurs [2] ; une espèce? fétiche [3] — au sens religieux du mot — est mise en avant. Certes, une part importante des ressources alimentaires végétales seraient assurées par la pollinisation par les insectes (exception notable, les céréales), nous dit-on [4]. Toutefois, d’une part, les semenciers et les instituts de recherche agronomique tentent de trouver des variétés qui n’ont plus cette dépendance, d’autre part, les insectes pollinisateurs ne sont pas que des abeilles et les abeilles ne sont pas que l’abeille domestique (Apis mellifera). Ceci pour les plantes mises en culture [5].
La situation est encore plus diverse pour les plantes sauvages. Et, comme l’abeille domestique ne peut assurer la pollinisation de toutes les plantes à fleurs? entomophiles [6], de même certains insectes ne pollinisent qu’un nombre très réduit d’espèces végétales. Parfois même, ces insectes sont dépendants d’une ou de quelques rares espèces. Nous comprenons alors, que si une pénurie de pollinisateurs a une incidence sur la reproduction végétale, une pression trop forte de pollinisateurs peut avoir une incidence sur la reproduction de quelques espèces pollinisatrices.
- La jasione des montagnes ou maritime (Jasione montana), seule source d’alimentation de l’abeille Dufourea halictula
Ainsi, parmi les insectes pollinisateurs, c’est le cas chez les abeilles. Ce groupe comporte aussi bien des espèces très généralistes dont la plus emblématique est l’abeille domestique, que des espèces qui sont liées à un groupe plus restreint de plantes et des espèces dépendantes d’une seule plante. Techniquement, elles sont décrites comme polylectique, oligolectique et monolectique (les termes polylègue, oligolègue et monolègue peuvent aussi se rencontrer). À l’inverse certaines plantes ne sont pollinisées que par peu ou par une seule espèce animale, par exemple une abeille sauvage. Plus rarement encore, une plante et un insecte peuvent être exclusivement liés l’un à l’autre d’où la quasi certitude que la disparition de l’un amène la disparition de l’autre. Les espèces dites monolectiques (une poignée localement [7]) ou oligolectiques (plus d’une cinquantaine) dont les plantes nourricières sont également visitées par d’autres insectes peuvent être en danger si la compétition sur les ressources en pollen? et nectar est forte. C’est ce qui se passe déjà entre ruches dont les abeilles deviennent plus agressives lorsque les ressources disponibles diminuent. C’est ce qui se passe autour des ruchers importants, le nombre d’espèces pollinisatrices diminue. Le milieu est perturbé par l’intervention humaine [8], ici une sorte de surpâturage.
Sur cette pression et sur l’effet pervers de l’implantation localement grandissante de ruches, nous pouvons consulter les articles? de Guillaume Lemoine [9].
- La vipérine (Echium vulgare), plante très visitée par les insectes et seule source d’alimentation des abeilles osmies Osmia adunca et Osmia anthocopoides
Concrètement, les espèces d’abeilles sont nombreuses en Europe, près de 1.000 en France [10], 500 en Belgique (dont une trentaine de bourdons mais aussi des abeilles coucous — dites cleptoparasites — qui font élever leur progéniture par d’autres espèces). Ces espèces représenteraient 80 % des individus en France [11], ce qui veut dire que l’abeille domestique représenterait 20 % des individus à elle seule, soit un piètre indice de biodiversité et potentiellement, une forte pression. Une rubrique de ce site [12] est entièrement consacrée à lister ces espèces : « Abeilles, que des sauvages ! Ou presque ! ». Elle signale autant que possible les rapports entre espèces d’abeilles, les époques possibles d’observation, les plantes visitées préférentiellement et donne les liens vers l’Atlas hymenoptera.